La fatigue scolaire et le cerveau

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Ecole démocratique en Belgique

(Traduit du Néerlandais) – Article publié sur le site: Projet d’école démocratique de type Sudbury et de langue libre au centre de la Belgique – Lien de l’article.

La fatigue scolaire.

Qu’est-ce que c’est que ça en fait ? Et d’où ça vient ? Et est-ce qu’il existe une fatigue de l’apprentissage ? Ou une fatigue de la vie ? Ou est-ce qu’on appelle ça simplement la dépression ? Et est-ce qu’on la rencontre dans toutes les écoles ? Et si oui, est-ce qu’il faut dormir à l’école pour s’en débarrasser ?

La notion de ‘fatigue scolaire’

À la recherche de la signification de cette étrange notion, j’ai découvert avec stupéfaction qu’on peut être atteint de fatigue scolaire et tout de même voir l’utilité de l’école, c’est-à-dire l’acquisition d’un diplôme, et donc continuer.

Apparemment, il y a tellement d’enfants fatigués de l’école que plusieurs catégories ont pu en être dissociées. Piet Dupan différencie par exemple les ‘cijferleerders’ (pour qui l’importance réside uniquement dans le diplôme et l’ »apprentissage » ne l’accompagne que comme un mal nécessaire), des jeunes au comportement déviant. Ces derniers représentent une nuisance pour le système scolaire, ils ne participent pas, ne suivent pas les règles, et hésitent à quitter l’école.

C’est apparemment quelque chose de ‘réel’, car jamais tant d’étudiants en Flandres n’ont obtenu leur diplôme via le Jury Central. Le nombre d’inscriptions a augmenté de 40%  par rapport à l’année passée. Dans le sondage sur les raisons de l’interruption du parcours scolaire, la fatigue scolaire s’est retrouvée en première place. » (Source)

Quelques définitions, histoire de savoir ce que ça peut vouloir dire (de quelque chose de simple à une sorte d’analyse psychologique directement transformée en définition)

  • ‘ne pas aimer aller à l’école’ (Knack)
  • ‘une motivation chroniquement et globalement basse pour les études, la classe, et l’école, qui se traduit en sentiments, pensées et comportements négatifs’ (Klasse)
  • ‘une conséquence d’une interaction défavorable entre les caractéristiques de la personnalité de l’élève (capacités, intérêts, capacités d’étude, image de soi, etc.) et les caractéristiques de l’environnement (contenu de la matière, pression d’étude, ambiance de la classe, style de relation avec l’enseignant, relation émotionnelle avec les parents, etc.)’ (Gezinsbeleid in Vlaanderen).

Et étant donné que j’étais curieuse de découvrir si la fatigue d’apprentissage existait aussi, je suis retournée à mes recherches. Cela existe apparemment aussi (du moins comme notion), mais n’est pas d’application dans cette situation vu qu’on continue quand même vraiment à étudier, et qu’on apprend toujours en-dehors de l’école, mais que simplement de moins en moins de gens le font en suivant les sentiers battus. Ils prennent plutôt un chemin à travers champs, un raccourci, ou créent tout simplement leur propre route.

« Le nombre d’inscriptions dans l’enseignement pour adultes ou de seconde chance est également en croissance. Il semble que de plus en plus de jeunes ne se sentent pour une raison quelconque pas totalement à l’aise dans notre système éducatif. Un système qui résiste depuis des dizaines d’années dans une société qui évolue à un tempo délirant. » (Source)

Mais comment ça se fait ? Pourquoi ces enfants n’aiment-ils pas aller à l’école ? Sont-ce juste des cas à part avec des problèmes psychologiques ? Sont-ils par hasard tous dans des écoles horribles avec des professeurs abjects et un groupe hostile de bandits en liberté pour élèves ? Où y a-t-il structurellement quelque chose qui ne fonctionne pas…

Afin d’obtenir une vision plus générale, j’ai cherché une approche plus objective, universelle, et en même temps plus étroite et précise. Mon périple m’a amené dans le monde merveilleux de la neurobiologie. Et plus spécifiquement la neurobiologie de l’apprentissage.

La neurobiologie de l’apprentissage

Quelques caractéristiques pertinentes du cerveau :

  • Le cerveau est le seul organe du corps humain à ne pas être terminé à la naissance.  Il devient de plus en plus lourd, croît d’un facteur de 95% jusqu’à l’âge de dix ans et sa croissance ne s’achève qu’entre 23 et 25 ans.
  • Le fonctionnement de notre cerveau est principalement garanti par les connexions entre nos neurones (chez un adultes il y en a environ 100 milliards). Les connexions forment un tissu extrêmement fin de fils où les signaux circulent à la vitesse de l’éclair. Le tissus est donc constitué de divers réseaux de connexions entre les neurones, qu’on appelle les réseaux de neurones.
  • L’apprentissage a pour résultat que de nouvelles connexions apparaissent et que des connexions préexistantes soient renforcées et spécialisées afin de finalement fusionner avec des réseaux parents. C’est ainsi que les réseaux de neurones complexes se forment.

Gerald Hüther (2006, p.47 traduit en Néerlandais et résumé ici) affirme cependant que dans certaines circonstances bien définies, la construction de réseaux de neurones complexes ne peut pas se produire . Les 6 points que Gerald Hüther indique comme facteurs qui empêchent la formation de ces réseaux de neurones complexes sont hélas plus qu’abondants dans nos écoles classiques et la société dans laquelle elles se trouvent.

  1. La société du divertissement dans laquelle nous nous trouvons génère une discordance entre ce que l’école considère comme important (la connaissance académique etc.) et ce qu’on ressent comme important dans la société au quotidien en général. Non seulement la matière est souvent vue comme impertinente mais même la singularisation à l’école mène bien souvent à l’exclusion et aux brimades, tant cette discordance est entretemps devenue grande.
  2. Les enfants sont coupés du ‘monde réel’ et ne reçoivent l’occasion de participer activement qu’une fois adultes, ou diplômés. Ils ne jouent aucun rôle actif dans l’élaboration du monde qui les entoure ou du monde en général. Hüther utilise ici aussi le terme de consommation passive. Le droit à la participation et à la considération de l’avis de l’enfant dans les affaires qui le concernent fait pourtant bien partie des Droits de l’Enfant.
  3. Ce qui est considéré comme primordial à l’école, c’est l’obtention de compétences et connaissances fonctionnelles, ce qu’on appelle la fonctionnalisation. La créativité, en-dehors des moments encadrés existants, est rejetée : comportement gênant et perturbateur. Le lieu et le moment pour la découverte ludique de sa créativité propre ne se trouve malheureusement que rarement dans les programmes, malgré que ce soit d’une valeur inestimable pour le cerveau.
  4. Le surmenage des jeunes à l’école est aussi souvent lourdement sous-estimé. Le ‘domaine détendu’ dans lequel le cerveau peut se développer de manière optimale est totalement incompatible avec les effets stressants de l’évaluation constante, de la comparaison, de l’anxiété des examens etc.
  5. Une idée bien intentionnée mais pourtant fausse est ancrée tant dans les esprits de nombreux parents que dans ceux des professeurs d’école : qu’aider est par définition bien. Fournir des réponses, l’idée de pouvoir ‘transmettre la connaissance’, offrir des solution sans qu’on nous l’ait demandé. Il semble, d’un point de vue neurobiologique, qu’il s’agissent là à tous niveaux de mauvaises stratégies, qui entravent l’apprentissage plus qu’elles ne le favorise. Hüther utilise ici le terme très fort d’indulgence (NdT : en Néerlandais, le mot utilisé était « verwenning », qui est plutôt le substantif de « gâter »).
  6. Sous le terme de négligence, il regroupe le manque d’attention envers les besoins et souhaits spécifiques des enfants, mais aussi l’absence de défis.

Tous ces termes semblent peut-être lourds et exagérés mais en réalité ils sont indispensables pour comprendre l’impact de tous ces facteurs. La plupart des parents envoient tout de même leurs enfants à l’école dans l’espoir qu’ils y apprennent quelque chose mais à en juger des faits, il n’est pas surprenant que ‘l’école’, telle qu’elle est organisée aujourd’hui, mène plus souvent à la ‘fatigue scolaire’ qu’à de véritables expériences d’apprentissage.

Solutions

Les solutions que les plus récents résultats de la recherche neurobiologique nous présentent revêtent différentes facettes mais se singularisent par leur simplicité. Il s’avère que nous commettons des erreurs fondamentales dans notre compréhension de l’utilité et de la fonction de l’enseignement. La terminologie elle-même indique déjà une grossière fausse idée qui n’est pas en accord avec la réalité scientifique de comment l’apprentissage fonctionne.

Sur base de la citation suivante de Gerald Hüther (trouvée sur le site web du film Alphabet d’Erwin Wagenhofer), j’entreprendrai de la manière la plus concise possible de clarifier ma grande déclaration.

‘Il est impossible d’obliger quelqu’un à se former. On ne peut que l’y inviter.’

Nous pouvons extraire deux facteurs de cette affirmation. Tout d’abord il y a la motivation intrinsèque de se développer, d’apprendre. Je l’appellerai facteur interne.
Ensuite, il y a le cadre ou autrement dit l’environnement, que j’appellerai facteur externe.

  • La motivation intrinsèque – Le facteur interne

Dans le passé, nous avons tiré beaucoup de mauvaises conclusions quant au fonctionnement de notre cerveau. D’abord, nous croyions que le cerveau fonctionnait comme une machine. Après avoir compris que le cerveau pouvait s’adapter, nous avons cru que nous pourrions l’entraîner comme un muscle en l’utilisant autrement. Là encore nous commettions une erreur, car le cerveau n’est pas un muscle, et il ne fonctionne pas comme ça du tout non plus.

Mais voici la vraie surprise…
Ce dont nous avons en fait besoin pour créer de nouvelles connexions, et donc apprendre en profondeur, c’est le sentiment personnel de la personne qui circule avec ce cerveau dans sa tête, que quelque chose est important pour cette personne.

Oui, vous lisez bien. Le cerveau n’apprend que lorsque la personne à qui il appartient en voit elle même l’intérêt.

Mais seulement en percevoir rationnellement l’intérêt ne suffit toujours pas. Pour vraiment apprendre de manière profonde et durable, la personne doit en fait être émotionnellement touchée par quelque chose.

Car ce qui se passe alors (lors d’une telle activation émotionnelle), c’est que les transmetteurs neuro-plastiques sont libérés afin de créer de nouvelles relations entre neurones ou d’enrichir des relations existantes. Ces transmetteurs, qui ne sont libérés que par l’activation émotionnelle qui a lieu lorsque nous considérons quelque chose comme vraiment important, se comportent comme un engrais pour le processus d’apprentissage et irriguent les neurones avec de la connectivité émotionnelle. Donc non, on ne peut pas forcer quelqu’un à se développer. Car au lieu d’être une machine qu’on peut programmer à faire (et à apprendre) ce qu’on veut, ou un muscle qu’on peut entraîner, nous avons là une image du monde bien plus poétique, douce et humaine :

Être touché profondément dans son être par quelque chose qui chatouille tous ses réseaux de relations de neurones uniques, (construits par des années d’expériences d’apprentissage uniques) fait en sorte d’être submergé par une mer de sentiments afin d’apprendre ce qu’on considère réellement comme important.

Totalement autonome, totalement authentique, totalement non-contraint, totalement soi.

Cliquez ici pour visualiser une série de petits films courts en Anglais dans lesquels Gerald Hüther explique tout cela simplement.

  • L’environnement – Le facteur externe

Ok. Donc nous avons appris que nous devons considérer quelque chose émotionnellement comme important pour avoir des expériences d’apprentissage profondes. Avant cela, nous avons observé le rôle de l’environnement et appris comment le processus des réseaux de neurones complexes peut être entravé par un mauvais environnement. Mais quel est donc le bon environnement ? Et comment peut-on l’offrir ? À quoi ressemble ce monde agréable où les gens peuvent être eux-mêmes et peuvent fleurir de leur propre manière et à leur propre rythme ? Heureusement, ici aussi, Gerald Hüther offre une réponse détaillée basée sur une opulence de recherche et d’expérience. Il résume ici de manière concise de quoi il s’agit réellement dans notre environnement, qui permette de laisser la place à l’apprentissage spontané, auto-dirigé, profond, et authentique.

« Les conditions les plus importantes pour la transmission intergénérationnelle de valeurs humaines et leur ancrage profond dans les réseaux du cortex frontal supérieur (NdT : « hogere voorcortexale netwerken ». Si quelqu’un trouve à quoi ça correspond en Français, je suis preneur!) du cerveau des générations suivantes sont:

  1. la relation sûre (NdT : comme dans « en sécurité ») et chaleureuse
  2. une panoplie étendue de différents défis »
    GERALD HÜTHER, NEUROBIOLOGISTE (Source)

En parallèle, nous pouvons aussi nous inspirer des mots expérimentés des fondateurs originaux du modèle démocratique Sudbury, l’École Sudbury Valley. L’un d’entre eux réfléchit ici sur l’environnement, l’accompagnement que leur école apporte et les conséquences que ça a sur les étudiants.

‘Le processus d’auto-éducation, de vivre sa vie au lieu de gâcher son temps, est par nature mais pas de toute évidence, présent chez les enfants qui grandissent dans notre société. Pour y parvenir, ils ont besoin d’un environnement qui fonctionne comme une famille à plus grande échelle, qui les soutient et qui est sûr. L’accompagnement est volontaire et affectueux, pas régulateur ni intimidant, et donne aux enfants le courage de s’écouter eux-mêmes. Ils savent que nous sommes des adultes compétents pour les accompagner, mais notre retenue à ce niveau est le moyen pédagogique de leur apprendre à s’écouter eux-mêmes et pas les autres qui, au mieux, savent un petit peu qui ils sont. Notre retenue à leur dire ce qu’ils doivent faire n’est pas vue comme une négligence ou un défaut. Ça leur donne la force de choisir leur propre chemin, non pas sous notre direction, mais avec nos soins et notre soutien attentif. Il faut de l’enthousiasme et du courage pour les laisser faire ce qu’ils font pour eux-mêmes. Ça ne peut pas se produire de manière isolée, mais ils s’épanouissent dans une communauté vive et riche, dans laquelle les membres du staff jouent un rôle stabilisant et pérennisant.’

DANIEL GREENBERG, FONDATEUR DE L’ÉCOLE SUDBURY VALLEY (Source)

Nous pouvons retenir de ce témoignage les deux facteurs environnementaux importants dans lesquels on ressent de manière naturelle l’invitation à se développer de manière non-contrainte et totalement à son propre tempo, dirigé par son propre enthousiasme. Tout d’abord il y a l’environnement sûr, posé et garanti par les membres du staff et le reste de la communauté scolaire (d’autres billets à venir sur ce blog traiteront plus en profondeur des outils que la communauté de l’école a à disposition à ces fins). Ensuite il y a les défis qui sont par nature présents dans la vie en général, en interaction avec une communauté vivante pleine de gens aux centres d’intérêts, visions et personnalités divers. La grande force est d’un côté dans le comportement ouvert et accessible de tous les membres afin de s’engager dans des interactions authentiques sans objectif (éducatif ou autre) et d’autre part dans la retenue respectueuse de la communauté afin de n’intervenir et de n’offrir de l’aide (si possible) que quand quelqu’un en fait la demande formellement. A travers ce dernier facteur, une autre dimension de sécurité et de garantie survient. La garantie d’avoir, en tant que personne, le contrôle ultime de sa propre vie. C’est ça le renforcement (NdT : « empowerment » en Anglais). C’est ça, la pure motivation intrinsèque qui reprend sa place légitime sur le trône en tant que réelle force dirigeante dans notre vie.

Synthèse

Il est remarquable que lorsque nous procédons à la comparaison entre traditions pédagogiques dans notre système scolaire classique, et les conditions dans lesquelles les réseaux de neurones complexes ne peuvent pas se développer, nous trouvons énormément de corrélations. Est-il alors si mystérieux que de plus en plus de jeunes n’aiment plus aller à l’école? Est-il peut-être temps que nous commencions à écouter tous ces jeunes qui, dirigés par un cerveau qui ne peut pas se développer, ne se sent plus à l’aise dans ce système ?

Tant les preuves empiriques que les découvertes psychologiques et neurobiologiques nous ont amené à une évolution remarquable de notre compréhension du processus d’apprentissage.

« Tu sais ce que c’est ? Si on se retrouve dans un mauvais environnement, on pense souvent que le problème, c’est nous. Mais si on se retrouve alors dans un bon environnement, tout à coup on fleurit. Je pense que c’est aussi ça le problème avec l’enseignement. Beaucoup de gens arrivent dans un mauvais environnement et commencent à douter d’eux-mêmes. Arrêter l’école m’a beaucoup appris sur la vie. Je commence de plus en plus à comprendre que la vie n’est pas seulement le travail ou la maison. C’est la combinaison de tout ça. C’est pour ça que je trouve qu’il est si important que les écoles se chargent de créer un espace d’apprentissage agréable. Que les enfants puissent y être eux-mêmes, qu’ils puissent fleurir. »

HISKE (38), GÉRANTE DU SALON DE COIFFURE INVRAISEMBLABLE THE PONY CLUB (Source)

Mon souhait le plus sincère est que ce ne soit plus nécessaire pour les membres de notre future école (L’École Autonome/De Autonome School/The Autonomous School) d’arrêter l’école pour apprendre beaucoup de la vie. Notre mission est de nous assurer que tous nos membres puissent se développer de manière détendue, en sécurité et autonomie, qu’ils puissent vivre, apprendre, avoir du plaisir, et grandir, et que nous n’oubliions jamais que tout ça ne sont que des synonymes d’une seule et même chose.

– Susan Clynes
(Traduction par Antoine Guenet)

Sources et lectures recommandées

  1. Sources écrites:

  2. Vidéo:

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