Avoir un enfant avec des troubles des apprentissages, même quand on est prof, c’est dur au quotidien. Voici l’histoire d’un enfant de professeur qui a suivi un cursus scolaire « ordinaire » jusqu’en CE2 (avec PPS et une AVS) mais qui est passé dans une CLIS IV en raison de l’inadaptation grandissante au système scolaire normal.
Le site du Dr Pouhet (Poitiers) présente des témoignages qui n’ont pas pu figuré dans son livre: S’adapter en classe à tous les élèves dys.
NB : Une orientation, quitter le cursus et les classes dites « ordinaires » renvoie chaque parent à l’échec, celui de son enfant, le sien. On appréhende de ne plus donner toutes ses chances à son enfant. C’est oublier les dégâts, parfois irréversibles, liés à une souffrance elle aussi « ordinaire », délétère pour les apprentissages mais surtout pour la construction de soi. C’est priver l’élève dépassé de retrouver le plaisir sur le chemin de l’école… (DR A.POUHET).
*Depuis la circulaire n°2009-087 du 17/07/09, la CLIS est désormais l’abréviation de Classe d’Inclusion Scolaire. La CLIS permet à la MDPH d’orienter les enfants en difficultés vers ce type de classe qui accueille 12 élèves au maximum. L’objectif est de permettre aux élèves en situation de handicap de suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire ordinaire.
Mon fils de 11 ans est un ancien grand prématuré « multidys », avec une intelligence préservée, malgré un certain retard de développement. Il est conscient et souffre de ses « dysfficultés » : DVS, petite dysphasie, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, troubles de l’attention et de la concentration, troubles de la mémoire de travail…
Q a été scolarisé en milieu scolaire ordinaire depuis la maternelle jusqu’au CE2 avec un PPS et une AVS pratiquement à plein temps. Le grand avantage de cette situation était la proximité avec notre domicile, l’accessibilité des transports scolaires, et la socialisation locale : Q avait des copains depuis la maternelle, et même des amoureuses. Sa classe le connaissait bien, l’aimait bien, et l’encourageait. Il n’y avait de toute façon jusque-là, aucune alternative, en raison de l’absence de structure adaptée au type de handicap de Q.
La scolarisation en milieu ordinaire présentait cependant des difficultés de plusieurs ordres, la première étant que, malgré la bienveillance de l’équipe enseignante, nous n’étions jamais les bienvenus. D’emblée, Q était vécu par l’équipe enseignante comme une surcharge, une « patate chaude », un surcroit de travail dans une classe déjà pléthorique pour des enseignantes conscientes de ne pas être qualifiées pour cet accueil et souvent déjà en difficulté sur la gestion de l’hétérogénéité des élèves face aux apprentissages.
La question des enseignants et AVS
À chaque rentrée, l’intégration était aléatoire, liée à la capacité de compréhension des troubles des apprentissages par la nouvelle enseignante, à laquelle il était nécessaire de d’expliquer ce qu’est la dyspraxie, la dyscalculie…, qu’il fallait convaincre de la nécessité des allègements (de matériel, de support, des devoirs…), de l’utilisation de l’ordinateur…
L’année était également suspendue à l’implication de l’AVS (nouvelle et novice chaque année, alors que celle de l’année précédente commençait à être formée) et à la qualité de la relation qui se mettait en place entre l’enseignante et l’AVS, ainsi qu’avec nous. Certaines années nous avons communiqué régulièrement avec l’enseignante et jamais avec l’AVS, d’autres années, ce fut le contraire. Pendant plusieurs années, nous avons dû « sortir » de notre rôle de parents pour aider l’enseignante (en adaptant par exemple l’intégralité du fichier de maths en version numérique), ou pour limiter les devoirs et organiser les supports.
Nous avions l’impression récurrente que l’année de Q se jouait sur un coup de chance. Il y a eu de bonnes et de mauvaises années. En CE2, Q a eu une enseignante en désarroi face au handicap et plus généralement face aux élèves en difficulté, dans l’incapacité de communiquer avec les familles, et ayant peu envie de faire des efforts pour adapter son enseignement, ses préparations pour un enfant dont la présence dans la classe lui paraissait aberrante. S’est ajoutée une AVS qui n’a pas réussi à trouver sa place dans la classe.
La progression dans les apprentissages
Q a donc suivi une scolarité « normale » jusqu’au CE2, mais malgré ses progrès manifestes, l’écart avec les progrès des copains de la classe s’est accentué. Il y a, à partir du CE2, une accélération et une complexification des apprentissages (conjugaison, grammaire….), que Q ne pouvait plus suivre car il n’en était pas là. Désormais, il ne pouvait plus se sentir concerné par des apprentissages qui le dépassaient totalement.
Q a alors été relégué au fond de la classe avec un autre enfant agité ayant des problèmes de comportements, ce qui aggravait ses problèmes de concentration.
De plus en plus conscient de son retard, découragé d’être le nul de la classe, malgré la gentillesse de ses copains, Q perdait l’estime de lui et refusait de plus en plus de travailler. Nous avons eu le sentiment que l’année était perdue.
Les soins complémentaires
Les rééducations complémentaires devaient s’effectuer en dehors de l’école, au CMPP ou en cabinet libéral. C’était la course après les heures de classe pour l’orthophonie, l’ergothérapie, la psychomotricité… avec des horaires (18-19H) qui induisaient une perte d’efficacité importante et une grande fatigue pour Q que l’école avait déjà épuisé.
La difficulté d’un travail d’équipe
Malgré leur bonne volonté, il était quasiment impossible de rassembler l’ensemble des acteurs de l’école et de la rééducation. Les réunions d’équipe étaient tardives (pas de conflit famille- école, pas de trouble du comportement = pas d’urgence pour un référent MDPH débordé), et incompétentes puisque personne n’est formé à la prise en charge du handicap. Temps formels, ces réunions se contentaient d’essayer de valoriser les progrès de l’enfant, de constater le désarroi de l’enseignant qu’on ne pouvait étayer et ne débouchaient sur aucun projet d’apprentissage concret. En 5 ans, nous avons réussi à faire venir l’ergothérapeute dans la classe 2 fois, pour prodiguer quelques conseils.
Le choix d’intégrer une CLIS IV:
Au final, arrivé en fin de CE2, l’entrée en CM1 semblait ridicule, décalée, uniquement vouée à le laisser continuer dans sa classe avec ses copains ; le redoublement inadapté, n’aurait fait qu’accentuer le retard, et Q avait déjà 10 ans. Nous étions arrivés aux limites de la scolarisation en milieu ordinaire qui finit par induire un « sur handicap ». Nous envisagions de déscolariser Q pour mettre fin à la spirale qui l’entraînait inévitablement vers la perte de confiance dans ses capacités à apprendre.
L’ouverture d’une CLIS IV sur le département était une opportunité, mais c’était aussi un choix difficile : nous craignions les difficultés liées à une ouverture, une équipe constituée tardivement… mais aussi la stigmatisation qui étiquette les élèves des CLIS, une baisse des exigences qui pourrait être liée à un public encore plus en difficulté que lui … et surtout, nous craignions que la séparation de ses copains ne déprime Q.
Bilan de la scolarisation en CLIS IV après 6 mois
Sur le plan scolaire, Q a enfin une enseignante compétente dans les troubles spécifiques des apprentissages. Grâce à l’effectif réduit de la classe, elle conduit un enseignement ciblé, personnalisé et efficace, qui valorise les savoirs et l’expérience de Q en partant de là où il en est. Celui-ci retrouve le plaisir d’apprendre et d’avoir de bons résultats. Il rentre content de sa journée d’école, conscient et fier de ses progrès. Son estime de lui revient et nous pouvons rester en confiance dans notre rôle de parents.
L’équipe du SESSAD, bien que nouvellement constituée est cohérente. Elle est formée de vrais professionnels formés à l’accompagnement du handicap. Les réunions montrent une cohésion qui donne du sens aux apprentissages. Les soins complémentaires sont bien intégrés dans l’emploi du temps scolaire. C’est un vrai soulagement pour Q qui a désormais le temps de souffler quand il sort de l’école et qui comprend désormais l’articulation de l’ensemble.
Le seul bémol est sur le plan social: être coupé de ses copains est douloureux malgré nos tentatives pour garder du lien avec les anciens copains. La photo de classe de l’an passé de Q trône sur sa table de nuit, signe de sa solitude. La cour de récréation n’est pas tendre et il s’y sent bien seul. Pas un copain pour le défendre.
Une grande inquiétude: la suite ? Q aura 12 ans en 2012. Théoriquement, il doit sortir de l’enseignement primaire. Et après… une ULIS qui n’est pas encore créée ?
La réintégration en milieu ordinaire ne paraît ni jouable ni souhaitable.
Nous mesurons le gâchis: si Q avait été dans cette CLIS depuis le début de sa scolarisation, il n’aurait sans doute pas un tel retard.